Le 29 septembre 1824 disparaissait Angélique Jourdan Massé (1761-1824), en religion Mère Marie de l’Ascension. Par le rôle décisif qu’elle a eu à l’origine de la congrégation, Madame Massé, dans le sillage du Père Monnereau est co-fondatrice des Sœurs des Sacrés-Cœurs. Deux cents ans après son décès, elle est devenue à l’aune d’une réhabilitation méritée un visage familier et marquant de la congrégation.
La jeunesse d’Angélique, éléments biographiques
La petite Angélique Urbaine Jourdan voit le jour le 22 janvier 1761, à Craon (Mayenne). Peu de temps après sa naissance sa maman décède, par nécessité, elle sera confiée à des religieuses de Château-Gontier, recevant l’éducation et l’instruction qui vont lui permettre de partir à la fin de son adolescence comme demoiselle de confiance chez la famille de Sapinaud, à la Rairie de Bazoges-en-Paillers. C’est depuis la Rairie qu’elle épousera un domestique des Sapinaud, René Massé (1767-1820) avec qui elle aura un fils, Isidore (1791-1831). Après la guerre de Vendée (1793-1796), les Massé gagnent Paris, ou René Massé fréquente les cercles républicains, tandis que son épouse donne l’hospitalité aux nobles qui traversent la capitale.
D’un commun accord, le couple décide de vivre séparément, et c’est aux alentours de 1804 qu’ils regagnent la Vendée. De son côté, René Massé s’installe près des Herbiers, tandis que Madame Massé revient à Bazoges dans la famille Sapinaud, permettant ainsi à son fils de suivre les cours du petit collège-séminaire de Chavagnes. Rapidement et pour trouver un moyen d’existence, elle trouve une place de régente (institutrice) aux Brouzils.
Madame Massé, institutrice des Brouzils et première religieuse de la congrégation
Arrivée aux Brouzils vers 1807 ou 1808, l’institutrice semble très appréciée de la population. C’est du moins ce qui transparaît à travers le seul témoignage connu sur cette période, écrit par l’une de ses élèves, Esther Blé (1806-1880), en religion sœur Marie de l’Incarnation. À travers ce témoignage, on ressent l’affection d’Esther Blé pour son institutrice, décrite comme « notre pieuse et zélée maîtresse d’école […] elle me donnait tous ses soins, elle employait tous les moyens possibles pour m’instruire ». Apparaissent aussi par ce témoignage les qualités pédagogiques de Madame Massé « Elle était assez instruite pour des enfants de la campagne. Elle connaissait parfaitement sa religion et toutes les semaines, elle nous faisait l’instruction, nous expliquait très bien le catéchisme […] elle avait un talent tout particulier pour instruire les enfants. Elle était bonne, douce, compatissante, charitable et simple ».
À son arrivée aux Brouzils le 14 août 1814, le Père Monnereau n’ignore sûrement pas l’estime générale que porte la population à son institutrice et naturellement, un climat de confiance s’installe rapidement entre le jeune curé et l’institutrice. Tout cela préfigure les bases de la petite communauté des Brouzils, dont la mise en œuvre semble partagée par les deux, par l’initiative non négligeable de Madame Massé qui « Pria Monsieur le Curé de visiter fréquemment son école […] et le pria de lui donner, non seulement un règlement de vie ordinaire aux personnes de son état et de vouloir bien l’admettre au nombre des personnes qu’il désirait former à la vie religieuse ». Consciente de l’importance de son rôle d’institutrice, l’école devient le terreau fertile de la future congrégation, avec l’association rapide de « trois autres filles vertueuses ».
Avant de faire son engagement religieux, Madame Massé est toujours mariée à René Massé, elle lui demande donc son autorisation pour faire ses vœux, « Il y consentit et lui donna pleine et entière liberté de faire comme bon lui semblerait ». Cette situation n’est certes pas habituelle, mais elle est susceptible d’être canoniquement reconnue. Son engagement religieux eut lieu le 19 mars 1818 aux Brouzils, prenant pour nom de religieuse Marie de l’Ascension.
La place de Mère Marie de l’Ascension dans la naissance de la congrégation
Son rôle a d’abord commencé dans la petite école des Brouzils ou « le Bon père lui avait communiqué tous ses projets ». Le charisme de fondation exprimé par le Père Monnereau a véritablement pris corps chez les premières sœurs sous la direction de Mère Marie de l’Ascension, permettant à la congrégation naissante de se développer et de s’affermir au travers des difficultés. Son expérience, sa maturité, ses qualités pédagogiques la désignent naturellement comme la formatrice du premier noyau des jeunes sœurs, faisant dire à Sr Marie de l’Incarnation « A bien considérer ce qui s’est passé, sans elle je puis vous assurer qu’il n’y avait personne ici en ce temps…pour entreprendre ce qu’elle entreprit […] elle a été à juste titre notre première fondatrice ». Le Père Monnereau n’était pas lui-même membre de la communauté dont il était le père, par conséquent le rôle tenu par Madame Massé, rôle de l’intérieur est fondamental dans la phase de création de la congrégation et il en parle à juste titre aux religieuses des Sacrés-Cœurs « comme de leur Supérieure fondatrice ».
Que ce soit de son vivant ou peu de temps après son décès de nombreuses personnes trouveront cela insupportable d’avoir eu comme première supérieure une femme séparée de son mari. L’histoire de la congrégation sera réécrite, minimisant ainsi la place et le rôle de madame Massé dans la naissance de la congrégation. Cette histoire officielle prévaudra jusque dans les années 1990, ou le travail rigoureux de Sœur Marguerite Vrignaud permettra de faire toute la lumière sur la place et le rôle véritable de co-fondatrice tenue par Madame Massé.
Thomas Aubin (archiviste de la congrégation)